top of page

Exposition à la Galerie Matisse, Seclin, mars 2010

 

Nous vivons un temps où sont exaltées les vertus supposées de la transparence et l’objectivité. Comme si faire la lumière ne supposait pas qu’elle s’accompagne d’une ombre, comme si l’objectif, était garant d’une vérité menacée par l’influence néfaste de la subjectivité. Comme si l’image ne pouvait mentir : « je l’ai vu, donc c’est vrai… »

L’essor de la photographie, et de ce qui est devenu d’un façon générale l’imagerie, a contribué à pénétrer au cœur de la matière, à capter l’infini de l’espace comme à s’introduire dans le « fort » intérieur du corps humain.

Et pourtant la photographie n’est jamais si objective qu’on voudrait parfois le croire. Ce n’est là qu’un fantasme. Il ne faut pas oublier que l’image, à l’instar des oracles antiques, nécessite un traitement, une interprétation.

Si la photo se trouve exposée lorsqu’elle mise à vue des spectateurs, les techniciens disent à leur façon qu’elle peut être, volontairement ou non, surexposée ou sous-exposée pour qualifier la qualité du rendu de la lumière… Le photographe ne peut manquer de s’exposer à travers les choix de ses sujets mais aussi à travers le choix qu’il fait de ses techniques, à travers l’usage qu’il fait du temps de la vitesse, de la lumière.

Il ne faut pas oublier non plus que le spectateur, lui aussi est amené à s’exposer. La lecture personnelle qu’il fait de l’image l’invite à s’extirper de sa position passive, elle le sollicite dans sa propre dimension subjective, pour peu qu’il abandonne le confort de l’abri anonyme de la foule ou la bannière consensuelle des critiques.

On peut ainsi s’interroger sur ce qui se trouve le plus exposé dans une exposition ?

  • L’image disposée au mur ?

  • Son compositeur qui s’affiche avec elle ?

  • Le spectateur qui la regarde ?

Après avoir visité officiellement une des expositions viennoises de certains peintres de son époque, l’Archiduc François-Ferdinand, exigea des journalistes qu’ils ne mentionnent pas sa présence. Il jugeait obscènes les œuvres qui étaient rassemblées et souhaitait se démettre de la liste des spectateurs : « Que personne n’apprenne que j’ai vu ces horreurs ! ».

Aux débuts de la photographie, deux artistes se sont servis en amateurs de cette technique innovante qu’était la photographie : un poète, Arthur Rimbaud et un peintre, Egon Schiele. Le premier, celui qui consacrait le poète comme « voyant », alors qu’il avait déserté nos rivages européens pour d’autres en Afrique, chercha un temps à s’établir là-bas comme photographe. Le second, né à la veille de la mort du premier, lui aussi artiste maudit et mort jeune, utilisa la photographie, cherchant à inclure certains clichés parmi dans ses œuvres aux prix de transformations plastiques.

Le premier écrivit :

Notre pâle raison nous cache l'infini !

Nous voulons regarder : – le Doute nous punit ![1]

Le second :

« … j’ai tâché d’y voir clair. Aussi bien, le peintre sait regarder, mais voir est quelque chose de plus »[2]

et aussi :

 « Portez votre regard à l’intérieur de l’œuvre d’art, si vous en êtes capable. »[3]

Et si nous nous efforcions, chacun de notre place, modestement, de nous faire tant soit peu « voyants », de découvrir le monde autrement que dans une transparence qui l’évacue, ou une prétendue objectivité qui le disqualifie. Ouvrons nos yeux.

 

[1] A. Rimbaud, Soleil et chair, Mai 1870.

[2] Lettre de E. Schiele à Oscar Reichel (20 juin 1911)

[3] Lettre de E. Schiele à Leopold Czihaczek [aphorismes] (1 sept. 1911)

bottom of page